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« Ceux qui partent » de Jeanne Benameur aux éditions Babel




1910, Ellis Island.


Ils sont nombreux à attendre sur cette île, à attendre l’accord pour fouler le sol américain. Ils viennent de tous les horizons, ils ont fui leur pays pour des raisons diverses. Ils rêvent juste de poser leurs valises, souffler et écrire une nouvelle page à leur histoire.


Ils attendent patiemment. Un jour et une nuit. Ensemble. Avant de connaître la suite de leur chemin. Un retour en arrière ou un pas vers un nouveau pays.


Parmi ces voyageurs éprouvés, il y a Dontato et sa fille Emilia. Ils ont quitté le soleil italien et emmené avec eux leur voix vibrante et la maîtrise des textes qu’ils récitent avec douceur et sans heurt. A chaque obstacle, des mots pour redonner espoir, à chaque bonheur, encore des mots pour l’amplifier.


Il y a Gabor, un musicien, qui veut profiter de ce voyage pour fuir sa communauté et être enfin libre de vivre.


Il y a aussi Esther, jeune femme fragile et rescapée arménienne. Ce sont ses doigts qui expriment ses émotions. A travers les courbes et les couleurs de ses dessins, elle invente mille et une tenues pour les femmes qui croisent son chemin.


Ils ne se connaissaient pas. Ensemble, ils vont partager un jour et une nuit. Ils vont tisser des liens qui ne s’oublient pas.


Au milieu de ces femmes et de ces hommes, au milieu des confidences, des secrets, de l’attente et des doutes, un homme se balade parmi eux. Appareil photo en bandoulière, il saisit les visages de ces nouveaux arrivants. Il attrape la ride de fatigue, la mèche qui glisse du chignon, le regard apeuré, le sourire de soulagement. Il observe les visages du présent pour comprendre son héritage. Lui aussi, malgré sa belle situation et la richesse de sa famille, est un petit-enfant d’exilé.


Pendant un jour et une nuit, on suit le destin de ces femmes et de ces hommes. On partage les heures passées dans l’attente.


Il y a des moments de musique et de joie, les longueurs du temps, l’excitation d’être presque arrivé et surtout une très belle humanité qui se dégage dans ces pages.


C’est une histoire qui apporte réflexion et apaisement.


C’est un roman lumineux, tendre et sincère.


Les passages du livre qui m’ont touché :


« Ils ont accepté de poser pour lui. Il ne sait rien d’eux. On ne sait rien des vies de ceux qui débarquent un jour dans un pays. Rien. »


« Car les textes ne gonflaient pas seulement le cœur de chimères, ils ouvraient grand la porte des rêves, les vrais, ceux qu’on met une vie entière à façonner et à vivre. Les vrais rêves, pas les illusions et leurs paillettes de contes de fées. »


« Le jeune photographe se dit que dans l’histoire de chacun, il y a ces failles dont aucun livre d’histoire ne parlera jamais. Oh, pas les failles de la grande histoire, non, mais celles qui fissurent implacablement la vie de ceux qui partent, et celles, peu spectaculaires, de ceux qui restent. »


« Les mots écrits, ceux des livres, enseignent mais ils préservent aussi, même s’ils racontent les choses les plus folles et les plus cruelles, parce qu’ils ont été écrits par quelqu’un qui a pris le temps de les penser. »


« Un monde qui sait que rien n’appartient à personne sur cette terre, sauf la vie. »


« Les émigrants ne cherchent pas à conquérir des territoires. Ils cherchent à conquérir le plus profond d’eux-mêmes parce qu’il n’y a pas d’autre façon de continuer à vivre lorsqu’on quitte tout. Ils dérangeront le monde où ils posent le pied par cette quête même. Oui, ils dérangeront le monde comme le font les poètes quand leur vie même devient poème. Ils dérangeront le monde parce qu’ils rappelleront à chacune et à chacun, par leur arrachement consenti et leur quête, que chaque vie est un poème après tout et qu’il faut connaître le manque pour que le poème sonne juste. »


Et vous, quel passage vous a parlé ?

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