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"Rien ne t'appartient" de Natacha Appanah aux éditions Gallimard



Tara sombre depuis qu’elle a perdu son mari, Emmanuel. Au chagrin et à la solitude ressentis, viennent s’ajouter les souvenirs du passé qui ne demandent qu’à ressurgir. Son histoire qu’elle pensait bien enfouie au plus profond d’elle-même, la hante à nouveau. Alors Tara plonge dans ses souvenirs et nous confie cette petite fille qu’elle a été et qui répondait au doux nom de « Vijaya » qui signifie «Victoire ».


Vijaya connaît une enfance heureuse entourée de parents aimants qui lui enseignent avec une grande ouverture d’esprit, les langues, l’histoire, les mathématiques et aussi la danse et la liberté. Elle vit protégée par les murs d’une belle demeure. Cette enfance insouciante qu’elle croyait éternelle vient se briser avec le décès brutal de ses parents. Vijaya devient alors une enfant enragée qui peut passer des jours sans parler et d’un coup hurler sa colère. Elle découvre la réalité de son pays et la violence d’être une fille. Elle passe de l’allégresse à la transparence et à la soumission. Les années de Vijaya se découlent au fil des pages. On reçoit ses confidences et découvre les secrets de cette vie qu’elle a tenté d’oublier. Vijaya disparaît avec le déferlement du tsunami de 2004. Elle saisit la main tendue et devient Tara.


Natacha Appanah conte la destinée bouleversante de cette enfant puis jeune femme courageuse qui se bat jusqu’au bout pour vivre libre.


L’histoire est racontée avec beaucoup de sensibilité et aborde la question du deuil avec délicatesse et justesse.


Un récit poétique et sensuel marqué par la présence de la nature et le langage des corps et de la danse. On virevolte à travers les pages, on sent les odeurs de manguier et les fleurs de frangipanier, on laisse son corps s’exprimer, on libère son esprit et on part vers d’autres contrées. Une histoire qui joue avec l’eau, les moments d’insouciance et de joie comme une mer limpide et à d’autre moments le déchaînement des vagues qui submergent l’héroïne qui continue à se débattre sans jamais lâcher la branche à laquelle elle s’est accrochée.


Un très beau roman tout en douceur et en poésie qui éveille nos sens.


Les passages du livre qui m’ont touché :


« Si je pouvais invoquer un peu de courage, je lui dirais que je suis encore celle qui aime profondément son père, celle dont il aime les sandwichs, celle qui l’appelle à l’aube le jour de son anniversaire, celle qui n’a jamais voulu remplacer sa mère, celle qui reste éveillée quand il voyage en avion, celle qui a tenté de porter son père à bout de bras, celle qui comprend combien est grande et pesante l’absence d’Emmanuel. »


« Je danse et comme les plis de mon sari, comme mon corps, mon esprit se libère et virevolte. »


« Comment attendre d’une fille qu’elle ne se rêve pas ainsi, toujours, virevoltante dans un sari or et, à ses pieds, des fleurs des fleurs des fleurs. »


« Jamais personne ne m’a expliqué ce que c’est qu’être une fille dans ce pays. Personne ne m’a dit : attention à la manière dont tu cours dans la rizière en agitant les bras comme si tu voulais t’envoler, ne chante pas comme ça tous les matins quand tu te réveilles, prends garde aux sourires que tu offres à n’importe qui, ne t’allonge pas sur la véranda à côté du chien pour écouter aux portes quand les gens viennent voir ta mère, ne t’assieds pas tous les soirs sur les genoux de ton père, ne te lave pas les cheveux près du puits sans te préoccuper de qui peut te voir, ne vole pas l’huile de groseilles des bois dans l’armoire de ta mère pour t’en enduire la chevelure, ne ris pas à gorge déployée quand tu gagnes à la belote, ne te mets pas à danser quand ta chanson préférée qui parle d’amour et de chagrin passe à la radio, et surtout, ne ramasse jamais, jamais une fleur de frangipanier fraîchement tombée pour la mettre derrière ton oreille. »


Et vous, quel passage vous a parlé ?

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